Plan de l’article
Le protoxyde d’azote, couramment appelé gaz hilarant, est devenu un vrai cauchemar pour les usines de traitement des déchets en France. Principalement utilisé à des fins médicales, alimentaires ou industrielles, l’usage de ce gaz est depuis plusieurs années détourné à des fins récréatives, comme drogue de substitution.
Outre les risques pour la santé, cette consommation croissante engendre quantité de dépôts sauvages et d’erreurs de tri, avec des conséquences particulièrement néfastes dans les deux cas.
Bien que certaines entreprises spécialisées commencent à se mobiliser pour récupérer et traiter ces déchets de manière sécurisée, ces initiatives restent insuffisantes face à l’ampleur du phénomène. A ce jour, aucune filière de Responsabilité Elargie du Producteur ne couvre ce produit.
Les cartouches et les bonbonnes usagées de protoxyde d’azote se retrouvent donc souvent dans les flux de déchets ménagers, causant des problèmes significatifs aux usines de recyclage et d’incinération. Cet article explore l’impact de ce nouveau type de déchet ainsi que les solutions existantes ou en développement pour en limiter la dangerosité en fin de vie.
Quels risques pour les centres de tri et UVE ?
Risques pour le personnel et les équipements
Si les cartouches de petite taille ne posent généralement pas de problème majeur, les bonbonnes de dimensions plus importantes, qui contiennent généralement des résidus de gaz sous pression, présentent un risque élevé pour les centres de tri (départ de feu suite à un broyage) et très élevé pour les UVE, où les bonbonnes explosent dans les fours d’incinération, mettant en danger opérateurs et infrastructures.
Ces explosions peuvent provoquer des incendies et endommager les équipements, comme les grilles de four, avec des coûts de réparation pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros. En 2023, l’usine Valo’Marne de Créteil a recensé 263 éclatements de bonbonnes depuis 2021, entraînant des arrêts de traitement et des pertes financières importantes.
Conséquences organisationnelles et financières
Les incidents liés au protoxyde d’azote engendrent des coûts considérables pour les opérateurs de centres de traitement des déchets non dangereux, qui dans le cas des déchets ménagers se reportent sur le contribuable. Selon la Confédération européenne de l’industrie du recyclage (EuRIC), les coûts des dégâts causés par les incendies dans les usines de traitement et de valorisation des déchets peuvent s’élever jusqu’à 1,3 million d’euros par installation, voire plusieurs dizaines de millions d’euros selon la gravité de l’incendie.
En août 2023, l’association AMORCE alertait sur les impacts organisationnels et financiers des incidents : 150K€ d’impact financier direct par arrêt de four inopiné, 150k€ à 500k€ pour le changement des grilles de four et des répercussions globales sur l’ensemble de la chaîne de traitement et de collecte en cas d’arrêt. De plus, les arrêts des installations peuvent perturber l’approvisionnement en énergie pour les usagers raccordés à des réseaux de chaleur.
Selon la Fedene, les arrêts techniques des usines de traitement et de valorisation des déchets dus aux bonbonnes de protoxyde d’azote se multiplient d’une année à l’autre. La première région touchée est l’île-de-France. Rien qu’en juin 2023, plus de 750 heures d’arrêt ont été enregistrées dans les installations régionales.
Quelles solutions de détection existent ?
Afin de prévenir les accidents, il est crucial de détecter les cartouches et bonbonnes de protoxyde d’azote le plus en amont possible, dès leur arrivée en centre de traitement des déchets. Plusieurs techniques et technologies peuvent s’y appliquer mais cela reste très complexe étant donné le fort recouvrement de ces bombonnes par d’autres déchets lors des processus de tri.
Quelques solutions d’IA, vision par ordinateur et spectrométrie, notamment comme celles proposées par l’entreprise britannique Greyparrot ou l’entreprise canadienne Waste Robotics, permettent déjà d’avancer significativement sur les étapes d’identification et de préhension afin de réduire le risque accidentogène posé par ces déchets.
Les technologies de détection de gaz, telles que Gasmet, permettent de mesurer les émissions gazeuses et de détecter la présence de protoxyde d’azote. Cependant, elles constituent une alternative peu précise, intervenant souvent trop tard, une fois la fuite déjà commencée. De plus, elles ne permettent pas de détecter les bonbonnes intactes qui ne présentent pas de fuite.
Ces outils innovants, entraînés spécifiquement à reconnaître avec précision les cartouches et bonbonnes de protoxyde d’azote, seront à terme en mesure de réduire considérablement les risques en les identifiant le plus tôt possible. Associés aux bonnes méthodes d’extraction, comme les solutions de tri robotisé, l’industrie pourrait également limiter l’exposition de son personnel de tri à ces objets dangereux.
Déchets électroniques : risque #1 des centres de traitement des déchets
Retrouvez dans cet article des informations sur les dangers des déchets électroniques, en particulier ceux contenant des batteries, pour les centres de tri.
Comment réduire le risque d’accidents ?
Une fois détectées et extraites, les cartouches et bonbonnes doivent être traitées de manière sécurisée :
- Séparation et isolation : Les bonbonnes sont retirées du flux principal de déchets.
- Neutralisation et dépressurisation : Les bonbonnes résiduelles sont vidées de leur gaz sous supervision contrôlée.
- Broyeurs sécurisés : Des broyeurs spécialement conçus pour gérer les bonbonnes métalliques évitent les risques d’explosion.
- Surveillance continue : Des capteurs surveillent les niveaux de gaz pendant le traitement pour détecter toute fuite potentielle.
La prévention du risque passe également par la formation du personnel des centres de tri et d’incinération. Ils doivent être informés des risques liés au protoxyde d’azote et formés aux procédures d’urgence en cas d’incident. L’équipement de protection individuelle (EPI) est également essentiel pour minimiser les risques pour les opérateurs.
Solutions de prévention complémentaires et d’encadrement légal
- Système de consigne par l’introduction d’un système de consigne pour les bonbonnes de protoxyde d’azote, inspiré de celui des Pays-Bas, pourrait être une mesure efficace pour réduire leur présence dans les déchets ménagers. En incitant les utilisateurs à rapporter les bonbonnes usagées, cela limiterait leur abandon dans la nature ou leur inclusion dans les flux de déchets ordinaires. Cependant, une telle initiative se heurterait à la problématique du détournement d’usage du protoxyde d’azote, ce qui pourrait en limiter l’impact.
- Création d’une filière REP avec la loi proposée par le sénateur Pellevat en novembre dernier prévoit l’application du système dit du « pollueur payeur », en intégrant les cartouches de gaz de protoxyde d’azote au sein de la filière à Responsabilité Élargie des Producteurs (REP) Déchets Dangereux.
- Encadrement ou limitation de la vente en apportant des restrictions sur la vente de bonbonnes industrielles et un meilleur contrôle de leur distribution pourraient limiter leur utilisation abusive et réduire les déchets générés. C’est le cas de Métropole de Lyon interdisant la vente, la détention et l’utilisation de cartouches de gaz de protoxyde d’azote sur l’espace public.
A ces solutions et mesures de prévention s’ajoutent les campagnes nationales et régionales de sensibilisation informent le public sur les risques liés à une mauvaise utilisation des cartouches de protoxyde d’azote. Cela inclut la communication sur le danger grave pour la santé. Un des récents exemples, la campagne de sensibilisation à l’usage détourné de protoxyde d’azote, réalisée conjointement par les ARS et Hauts-de-France et Ile-de-France avec les 3 spots qui racontent l’expérience vécue par un proche de consommateur.
Les cartouches de protoxyde d’azote représentent une vraie problématique pour la santé publique mais également des conséquences environnementales désastreuses. Leurs impacts, tant financiers qu’organisationnels, exigent des solutions rapides et efficaces. Les technologies de détection avancées, combinées à des systèmes de consigne et à une sensibilisation accrue, constituent des outils clés pour minimiser les risques. En agissant dès aujourd’hui, il est possible de réduire les dangers pour les infrastructures et de préserver la sécurité des personnels tout en limitant l’impact environnemental de ce type de déchets.
Pour aller plus loin
Incidents du fait de cartouche de protoxyde d’azote : qui est responsable ? (DJ39 et PJ03) https://amorce.asso.fr/publications/incidents-du-fait-de-cartouche-de-protoxyde-d-azote-qui-est-responsable-dj39-et-pj03
Risque incendie lié aux batteries au lithium et cartouches de protoxyde d’azote. Proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre le risque incendie lié aux batteries au lithium et aux cartouches de protoxyde d’azote dans les installations de collecte, de tri et de recyclage https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl24-079.html
Cartouche de protoxyde d’azote – ADEME. https://quefairedemesdechets.ademe.fr/dechet/cartouche-de-protoxyde-dazote/
Communiqué de presse – Explosions de protoxyde d’azote : Jean-François Vigier appelle à une mobilisation collective face à un nouvel accident. https://www.siom.fr/2024/07/03/communique-de-presse-explosions-de-protoxyde-dazote-jean-francois-vigier-appelle-a-une-mobilisation-collective-face-a-un-nouvel-accident/
Actualités en lien avec le sujet
Gaz hilarant : à Lyon, la consommation du protoxyde d’azote est désormais interdite sur la voie publique https://www.leprogres.fr/sante/2024/11/28/gaz-hilarant-a-lyon-la-consommation-du-protoxyde-d-azote-est-desormais-interdite-sur-la-voie-publique
Haute-Savoie : le sénateur Cyril Pellevat propose une loi pour prévenir les incendies dans les centres de tri https://www.lemessager.fr/649326771/article/2024-11-26/haute-savoie-le-senateur-cyril-pellevat-propose-une-loi-pour-prevenir-les
Protoxyde d’azote : ce déchet « orphelin » provoque régulièrement des explosions dans l’usine d’incinération de Besançon https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/doubs/protoxyde-d-azote-ce-dechet-orphelin-provoque-regulierement-des-explosions-dans-l-usine-d-incineration-de-besancon-2885015.html