Plan de l’article
La sécurité et la sûreté des centres de tri sont au cœur des enjeux de l’ensemble de la filière de gestion des déchets, ceux-ci étant particulièrement concernés par les risques liés au traitement et à la présence des déchets ménagers dangereux tels que les Déchets d’Équipements Électriques et Électroniques (DEEE), les bombonnes de gaz et les bombonnes de protoxyde d’azote.
Ces dernières années, le nombre d’incendies dans les installations de traitement des déchets non dangereux a connu une très forte hausse, avec pour cause principale la présence accrue des batteries lithium-ion. En effet, selon une étude européenne datant de 2018, le nombre d’incendies causés par les batteries lithium-ion dans le secteur du recyclage avait déjà triplé en dix ans.
La situation est devenue si critique que les professionnels du secteur rapportent que pas un jour ne se passe en France sans qu’une batterie (ou qu’une bonbonne) mal triée ne provoque un incendie dans un centre de tri ou une explosion dans un camion de collecte.
Ces événements ont bien évidemment des conséquences dévastatrices sur l’environnement comme sur l’économie du secteur, poussant les autorités et les professionnels à repenser leurs stratégies de prévention et de maîtrise des risques : dommages matériels considérables, interruptions fréquentes d’activité, impacts environnementaux, difficultés à assurer les infrastructures, sans compter les risques pour la sécurité des travailleurs.
Selon différentes études, le coût moyen d’un incendie causé par une déchet dangereux mal orienté peut varier entre 200 000 euros et 1,3 million d’euros, et jusqu’à plusieurs dizaines de millions d’euros lorsque c’est le site entier qui vient à brûler.
Cet enjeu, devenu prioritaire pour les exploitants comme pour les pouvoirs publics, demande une approche globale et coordonnée pour garantir la sécurité des installations tout en maintenant l’efficacité de traitement des déchets.

Comprendre la mécanique des départs de feu
Le déclenchement d’un incendie dans un centre de tri résulte généralement de la convergence de plusieurs facteurs :
Premièrement, un déchet dangereux mal orienté qui devient une source d’ignition. Les batteries endommagées lors du processus de broyage ou de compactage présentent un risque particulier, alors que des courts-circuits internes peuvent être provoqués. Cela conduit à une surchauffe, une explosion et finalement un incendie au potentiel de propagation rapide et à l’extinction difficile par les moyens conventionnels (dont certains causent plus de dégâts que le feu lui-même).
Deuxièmement, la réunion de conditions favorables à une propagation rapide (stockage de déchets secs hautement inflammables). Dans les pires cas de figure, un mésusage ou une défaillance du système d’extinction vient compléter ce scénario catastrophe.
Les défis spécifiques liés aux DEEE pour la sécurité des centres de tri
Les DEEE représentent un défi particulier en raison de leur composition hétérogène et de la présence fréquente de batteries intégrées très difficiles à identifier.
Le boom de l’IoT (Internet of Things, l’internet des objets), la miniaturisation et la diversification croissante des appareils électroniques conduit à l’intégration de batteries dans un nombre toujours plus important de produits, augmentant ainsi le risque qu’elles se retrouvent dans des flux de déchets inappropriés.
Les centres de tri d’aujourd’hui sont dans leur ensemble très peu préparés à la gestion de ces déchets dangereux étant donné le laps de temps qui peut être assez long entre le premier appel d’offre pour sa conception et la première mise en service.
De plus, la diversité des DEEE complique leur identification et leur tri correct par les consommateurs, menant souvent à une mauvaise orientation dans la chaîne de traitement qui commence par le simple geste de « jeter à la poubelle », entraînant de ce fait un effet domino.
Finalement, le contrôle des déchets en entrée des centres de tri, dont l’objectif est d’éviter le passage d’une trop grande quantité de déchets mal triés à la source sur les lignes de tri, présente lui-même des limites : technologies peu adaptées pour la détection des dangereux et risques de manutention pour les opérateurs lors des contrôles visuels.

(c) Denuo
Stratégies de maîtrise des risques d’incendie : une approche systémique
Face à l’ampleur des dangers identifiés, une stratégie de maîtrise des risques efficace doit s’appuyer sur une approche systémique, s’inspirant du concept de « défense en profondeur » utilisé dans d’autres secteurs à risque, tel que l’aviation.
Ce concept implique la mise en place de nombreuses lignes de défense, cohérentes mais interdépendantes, dont l’efficacité ne peut être évaluée par le test d’une seule barrière mais bien de l’ensemble du système. Appliqué aux centres de tri, ce principe signifie que la prévention des incendies ne peut reposer sur une mesure unique mais doit combiner des interventions à différents niveaux.
L’analyse du risque constitue la première étape de cette stratégie. Elle consiste à croiser les menaces spécifiques contre les centres de tri, comme la présence de batteries, bonbonnes ou autres déchets dangereux dans les flux de déchets, avec les vulnérabilités propres à ces installations, comme la proximité de matériaux inflammables ou les difficultés de détection dues à l’imbrication des objets ou le recouvrement des matières dans les flux.
Cette analyse doit être partagée avec l’ensemble des acteurs concernés. La complexité du marché du traitement des déchets en France ne permet pas la souplesse et la réactivité escomptés pour pallier ce problème. A partir du moment où un citoyen ou bien une entreprise génère un déchet, celui-ci est :
- Collecté par une entreprise A
- Traité par une entreprise B
- Les refus de tri sont enfouis ou incinérés par une entreprise C
L’Etat vient définir la politique globale, les éco-organismes pilotent la gestion de la fin du cycle de vie des déchets et finalement les collectivités supervisent au niveau local.
Mesures préventives à la source : sensibilisation et responsabilisation
La prévention des incendies dans les centres de tri commence bien avant l’arrivée des déchets dans les installations. La sensibilisation de la population aux enjeux d’un tri correct à la source constitue un facteur essentiel pour réduire les risques encourus par les salariés des centres de collecte et de tri. Des campagnes d’information ciblées sur les dangers des batteries, des bombonnes et autres DEEE et sur l’importance de les déposer dans les points de collecte appropriés peuvent contribuer significativement à réduire le nombre de ces déchets dangereux à se retrouver dans les flux inappropriés.
La responsabilité des producteurs d’équipements électroniques doit également être renforcée. Une meilleure conception des produits, facilitant l’identification et l’extraction des batteries en fin de vie, ainsi qu’un étiquetage clair indiquant la présence de batteries lithium-ion pour le consommateur, constituent des mesures préventives essentielles.
Des systèmes de collecte spécifiques pour les produits contenant des batteries pourraient également être développés (points d’apport volontaires, tournées de collecte dédiées), offrant aux consommateurs des alternatives simples et accessibles pour se débarrasser de ces déchets dangereux.
Conception et aménagement des centres de tri pour renforcer la sécurité
La démarche de prévention des risques professionnels doit intervenir très en amont, dès le projet de conception ou de réaménagement du centre de tri.
Les choix fondamentaux effectués lors de cette étape auront un impact direct sur les conditions futures de travail du personnel concerné par les circulations de véhicules et d’engins de manutention, du personnel en charge du tri manuel sur les tapis, ainsi que du personnel intervenant lors des opérations de maintenance et de nettoyage des équipements et matériels.
Par ailleurs, plusieurs préconisations pourraient être suggérées, soit lors de la conception mais également pour une modernisation d’un centre existant :
- Equipements de détection de déchets dangereux lors de la collecte des déchets,
- Mise en place d’un processus de pré-tri avec une détection précoce des déchets avant l’intégration dans la trémie d’alimentation du site,
- Installation d’équipements de détection tout au long du processus à des points stratégiques (caméras thermiques, boitiers de caractérisation par IA…),
- Solutions d’extinction localisées et générales avec une capacité de ciblage de l’incendie.
Des technologies existent déjà sur le marché, certaines étant plus industrialisées que d’autres. Une grande marge de progression est attendue par le secteur notamment pour la détection des déchets dangereux qui sont recouverts ou imbriqués.
Technologies et innovations pour la détection et la gestion des batteries lithium-ion
Le développement de technologies innovantes pour la détection précoce des batteries dans les flux de déchets constitue un axe de recherche prioritaire. Les systèmes de tri automatisés couplés à de l’intelligence artificielle (vision par ordinateur) peuvent aider à identifier les objets contenant des batteries avant qu’ils n’atteignent les étapes de traitement susceptibles de les endommager.
De même, des détecteurs thermiques intelligents et bien positionnés peuvent repérer les premiers signes de surchauffe d’une batterie, permettant une intervention rapide avant le déclenchement d’un incendie.
De plus, l’aménagement d’aires spécifiques et physiquement séparées pour la caractérisation des déchets entrants contribue à réduire les risques d’accidents pouvant mener à des incendies.
Cette approche technologique permet de maintenir une vigilance constante tout en éloignant les travailleurs des zones à risque.
Le cadre réglementaire en évolution : réponse gouvernementale à la crise
Face à l’augmentation des incendies dans les centres de tri, les autorités ont pris conscience de la nécessité d’adapter le cadre réglementaire.
Une consultation publique est en cours portant sur quatre projets d’arrêtés visant à renforcer les mesures de prévention des accidents, en particulier les incendies, au sein des installations de tri et de traitement de déchets.
Ces nouvelles dispositions devraient contribuer à standardiser les pratiques de sécurité dans l’ensemble du secteur et à garantir que tous les exploitants mettent en œuvre les mesures nécessaires pour prévenir les accidents.
Vers une approche intégrée de la sécurité des centres de tri ?
La prévention des incendies dans les centres de tri, particulièrement ceux causés par les batteries et autres bonbonnes, nécessite une approche intégrée combinant :
- une sensibilisation accrue du public,
- une responsabilisation des producteurs,
- une stratégie de conception adaptée des installations,
- la mise en place de technologies innovantes,
- une formation du personnel à la maîtrise des risques,
- des procédures opérationnelles rigoureuses.
Aucune de ces mesures ne peut, à elle seule, garantir la mise en échec des incendies, mais leur mise en œuvre coordonnée, dans le cadre d’une stratégie de défense en profondeur, peut considérablement réduire les risques.
Les initiatives gouvernementales récentes, comme la consultation publique en cours au Senat témoignent de la prise de conscience collective de l’urgence de la situation
Ces évolutions réglementaires devraient contribuer à standardiser les pratiques de sécurité dans l’ensemble du secteur et à garantir que tous les exploitants mettent en œuvre les mesures nécessaires pour prévenir les accidents.
La collaboration entre tous les acteurs de la filière – des consommateurs aux exploitants de centres de tri, en passant par les producteurs d’équipements électroniques et les autorités réglementaires – est essentielle pour relever ce défi majeur de la sécurité des centres de tri et assurer la pérennité de la filière de recyclage des DEEE.
Pour aller plus loin
PRÉVENTION DES RISQUES D’INCENDIE EN CENTRE DE TRI – FNADE. Les centres de tri d’emballages ménagers et de papiers sont en pleine mutation pour s’adapter aux nouveaux flux entrants (extension des consignes de tri), et aux exigences de qualité accrues des différents matériaux sortants. Or un centre de tri est exposé aux risques d’incendie en raison de la nature même des produits traités et des techniques ou équipements mis en œuvre dans le processus. Les investissements nécessaires à ce type d’installations sont importants et supposent des assurances adaptées qu’il convient de sécuriser.
Le secteur du recyclage et de la gestion des déchets victime d’incendies – Les batteries lithium-ion sont la cause numéro 1 – Denuo. Des cartes de vœux musicales dans la poubelle papier, une brosse à dents électrique dans les déchets résiduels, des vélos électriques dans la benne à ferraille – une fois déchets, ces produits ne sont pas bien triés. Le souci est qu’ils représentent un danger pour les travailleurs et les installations de gestion des déchets. Ce que peu de gens savent probablement, c’est que si les batteries de ces produits sont endommagées, par exemple si elles sont écrasées, elles peuvent exploser et provoquer des incendies difficiles à éteindre.
Responsabilités en matière de DEEE – Your Europe. Si vous fabriquez, distribuez ou vendez des équipements électriques et électroniques tels que des ordinateurs, des réfrigérateurs ou des téléphones mobiles, vous devez contribuer à ce qu’ils soient éliminés et traités de manière appropriée, conformément à la législation européenne et nationale.
Protocoles de sécurité dans le tri et la collecte des piles. Sécurité, tri et collecte des piles : des protocoles stricts pour éviter les risques environnementaux et sécuritaires. Découvrez les bonnes pratiques !
Risque incendie lié aux batteries au lithium et cartouches de protoxyde d’azote – Senat. Plus de 1 400 incendies ont été comptabilisés entre 2010 et 2019 sur les centres de collecte, de tri et de recyclage. Le Bureau d’Analyse des Risques et Pollutions Industriels (BARPI) recense autant d’accidents en l’espace de trois ans (2016-2019) que sur les quinze années précédentes.
Déchets électroniques : risque #1 des centres de traitement des déchets – Nextwaste. Selon le rapport de l’ONU, plus de 62 millions de tonnes de déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) sont générées chaque année à travers le monde. En France, quelque 641 030 tonnes de DEEE ménagers ont été collectées en 2023, selon le Rapport Développement Durable 2023 de l‘Ecosystem.
Stratégie ministérielle relative aux déchets. Ministère des Armées. Au niveau mondial, une hausse massive de la production de déchets est attendue d’ici 2050. Selon la Banque mondiale, le volume pourrait s’accroître, à cet horizon, de 70%.
Proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre le risque incendie lié aux batteries au lithium et aux cartouches de protoxyde d’azote dans les installations de collecte, de tri et de recyclage – Senat.
Les médias qui en parlent
Installations de traitement : alerte aux bonbonnes de protoxyde d’azote et aux batteries au lithium. La Gazette des Communes. Face à la recrudescence d’incendies et d’explosions dans les installations de traitement des déchets causés par la présence de batteries au lithium et de bonbonnes de protoxyde d’azote, le Cercle national du recyclage et Amorce rapportent les dommages conséquents subis par les collectivités. Reste à savoir quelle filière REP doit gérer les bouteilles de protoxyde d’azote.
Cauchemar des pompiers, les incendies de batteries lithium-ion se multiplient. Reporterre. Véhicules électriques, smartphones, cigarettes électroniques… Notre quotidien regorge d’objets alimentés par des batteries lithium-ion, dont le pouvoir incendiaire redoutable provoque de plus en plus d’accidents.
Déchets électriques : ces batteries qui mettent le feu aux centres de recyclage – France 24. Ce sont de vieux rasoirs electriques, des batteries d’ordinateurs ou d’aspirateurs que l’on jette sans se soucier de leur destination. Mais ces objets contiennent en fait des batteries au lithium-ion qui prennent feu quand on les écrase. Elles peuvent provoquer de grands incendies dans les déchetteries qui recyclent le métal. C’est un enjeu à la fois écologique et social.