Plan de l’article
En Europe, le trafic illégal des déchets est devenu un marché parallèle représentant une véritable menace pour l’environnement, l’économie circulaire et la santé publique.
Chaque année, l’Union européenne produit plus de 2 000 millions de tonnes de déchets, soit 4,8 tonnes par habitant, mais 33 millions de tonnes sont exportées hors UE ( une hausse de 75 % depuis 2004[1]), tandis que 70 millions de tonnes circulent entre États membres. Cette circulation, la plupart du temps légale, crée aussi un terrain propice aux trafics illégaux et aux enrichissements frauduleux.
En 2020, le conseil de l’Union Européenne estimait qu’entre 15 et 30% des transferts de déchets pourraient être illégaux, pour une valeur transactionnelle supérieure à 10 milliards d’€ par an.[2]
Ces transferts échappant aux contrôles sont bien entendu susceptibles d’être traités ou éliminés de façon inappropriée, avec les risques environnementaux et sanitaires que cela représente.
Trafic de déchets: de quoi parle-t-on ?
Le trafic illégal de déchets désigne l’ensemble des transferts, exportations et traitements des déchets effectués en violation des réglementations nationales ou internationales.
Le trafic illégal de déchets s’opère à tous niveaux, en falsifiant la documentation pour contourner les réglementations et réduire voire éliminer les coûts de traitement.
À l’échelle européenne, le phénomène est tout sauf marginal, Europol décrit une augmentation des violations liées à la “waste and pollution crime”, portée par un modèle faible risque / forte marge, de plus en plus imbriqué dans des structures d’entreprises parfaitement “légales” (transporteurs, courtiers, opérateurs).
Dans ce contexte, le trafic se situe souvent à la frontière entre flux réglementés et criminalité organisée : la fraude consiste à reclassifier des déchets (ex. “matières destinées au recyclage”), fabriquer ou dissimuler des documents, et exploiter la complexité des chaînes logistiques pour échapper aux inspections — d’où la réponse récente de l’UE avec un règlement renforçant la traçabilité et la coopération contre les expéditions illégales.
Cette pression économique se déplace aussi vers certains pays où les contrôles, les capacités de traitement et les incitations économiques créent des opportunités. Des enquêtes et procédures font état d’importations illégales en Roumanie (déchets dissimulés en “recyclables”, y compris des textiles non triés) et de flux vers les Balkans / Bulgarie, où des réseaux profitent de coûts plus bas et de failles de contrôle pour écouler des déchets venus d’Europe occidentale[3].

Un phénomène qui se répand en France
Dans une affaire jugée en France par exemple, 10 000 tonnes de déchets (mélange de déchets du bâtiment, ménagers et industriels) ont été abandonnées dans la nature, soit l’équivalent du poids de la Tour Eiffel.
Entre 2023 et 2024, plus de 157 000 tonnes de déchets illégaux ont été interceptées en France[4]. Dans certaines régions, la mafia prend possession de ce marché illégal, notamment en île-de-France, en Corse et dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Plusieurs raisons expliquent cet engouement :
- Les risques sont moins élevés que pour la drogue (de deux à sept ans de prison contre vingt à trente ans pour un trafic de stupéfiants).
- Un marché fructueux de près de 10 milliards d’euros en Europe.
Concrètement, les fraudeurs facturent des prestations fictives de traiter avant d’abandonner ou d’exporter illégalement les déchets. Certains prennent même le contrôle de sociétés pour pouvoir acquérir des contrats sur le marché public.
Depuis plus de 40 ans, la mafia contrôle le marché en Italie
En Italie aussi la gestion des déchets a été largement infiltrée par les organisations mafieuses, notamment la Camorra de Naples. Depuis plus de 40 ans, ces groupes profitent de l’absence de contrôle strict pour offrir des solutions d’élimination illégales, souvent bien moins coûteuses que les filières légales (la mafia traite 800 tonnes de terre contaminée à l’hydrocarbure à seulement 0,25 € le kilo[4], soit une économie d’environ 80 % par rapport au marché officiel).
La conclusion de l’étude menée par Journal of management of studies révèle qu’en Italie (dans le sud en particulier) la gestion des déchets s’organise par le prisme du profit et de l’accumulation des capitaux et non pas dans un souci de protection de l’environnement.
Quels sont les impacts du trafic illégal des déchets ?
Le trafic illégal des déchets ne se limite pas à un manque à gagner sur le plan économique. Il produit des effets directs et durables sur les territoires, les populations et la crédibilité des politiques publiques.
Impact sanitaire et social du trafic de déchets
Lorsque des déchets sont abandonnés, enfouis ou incinérés illégalement, les riverains sont exposés sans le savoir à des risques sanitaires accrus, sans bénéficier des retombées économiques associées aux filières légales, comme à Fieni, en Roumanie, où la cimenterie inquiète les riverains[5].
En France, en 2023, une plainte a été déposée par la FNE (France Nature Environnement)contre Vittel, mettant ainsi en lumière neuf décharges non déclarées par le groupe Nestlé.
Impact environnemental du trafic de déchets
Le traitement ou l’enfouissement illégal des déchets entraîne la contamination des sols, des nappes phréatiques et de l’air par des substances toxiques.
Des déchets déclarés comme recyclables peuvent ainsi être abandonnés ou brûlés à ciel ouvert, en contradiction totale avec les objectifs environnementaux européens. Cette externalisation illégale de la pollution constitue un transfert de charge environnementale vers des territoires moins protégés.
Si la Chine et l’Asie du Sud-Est ont fermé leurs frontières aux déchets produits en Europe en 2018[6], les pays comme la Bulgarie les ont remplacés, implantant ce marché illégal au cœur de l’UE.
Des solutions concrètes pour lutter contre le trafic de déchets illégaux
Face à l’ampleur du phénomène, l’Union européenne a engagé plusieurs actions structurantes. Dans le prolongement de la Convention de Bâle de 1989, qui constitue le socle international du contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, voici les dernières mesures mises en place :
- Restriction des exportations de déchets hors de l’Union européenne : l’UE a adopté un nouveau règlement encadrant plus strictement les exportations de déchets vers les pays non membres de l’OCDE.
- Interdiction de l’exportation des déchets plastiques hors UE : l’exportation de déchets plastiques vers des pays tiers est interdite, afin d’éviter leur transfert vers des zones dépourvues d’infrastructures de traitement adéquates et de limiter les pratiques de dumping environnemental.
- Renforcement des sanctions contre les crimes environnementaux : la législation européenne sur les crimes environnementaux a été durcie, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) voit ses capacités d’enquête et de coordination renforcées afin de mieux détecter, suivre et interrompre les flux de déchets illégaux
- Priorité donnée au recyclage et à la valorisation des déchets au sein de l’UE : le nouveau cadre réglementaire vise à favoriser le traitement et le recyclage des déchets sur le territoire européen, en soutenant le développement d’infrastructures industrielles capables de gérer des volumes importants de déchets de manière conforme.
L’économie circulaire est une priorité mais on estime que seulement 12% des matières consommées dans l’Union européenne est issue du recyclage[7]. La lutte contre le trafic des déchets illégaux vise à améliorer la circularité des produits.
Pour aller plus loin
[2] https://www.senat.fr/questions/base/2025/qSEQ250404006.html?
[3] https://environment.ec.europa.eu/news/new-regulation-waste-shipments-enters-force-2024-05-20_en
[4] https://www.senat.fr/questions/base/2025/qSEQ250404006.html?utm_source=chatgpt.com
[5] https://neoma-bs.fr/actualites/pourquoi-la-mafia-sest-elle-occupee-des-dechets-de-litalie
[6] https://chateurope.eu/fr/leurope-orientale-sinquiete-dune-recrudescence-du-trafic-de-dechets/?



