Plan de l’article
Le secteur du bâtiment, connu pour son effet moteur de croissance de l’économie française, représente environ 10 % de son PIB. Par nature énergivore et important consommateur de matériaux, il est aussi le 1er producteur de déchets en France, avec plus de 42 millions de tonnes produites annuellement, soit 70% de la production nationale.
La loi AGEC prévoyait dès 2020 la mise en place d’une filière de Responsabilité Elargie au Producteur (REP), connue come loi du « Pollueur-Payeur », pour les produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment (PMCB). Cette filière, entrée en vigueur le 1er janvier 2023 et dont l’objectif est de réduire la production de déchets du bâtiment et en améliorer leur recyclage, suscite de nombreuses réactions, de l’engouement à l’inquiétude, quant à la réalité de son application pour les entreprises concernées.
Décryptons ensemble certains aspects de la loi REP PMCB pour mieux en comprendre les limites et les opportunités.
Les éco-organismes: qui sont-ils et quel sont leurs rôles ?
On ne peut parler REP sans parler Eco-organismes, qui sont des organisations privées chargées de la gestion des déchets d’une filière spécifique. Dans le cas du bâtiment, 4 éco-organismes ont été agréés par les pouvoirs publics :
- Eco-Maison : agréé pour la gestion des déchets de matériaux de construction de l’habitat individuel, il représente environ 70 % des producteurs de matériaux de construction pour l’habitat individuel. Eco-Maison collecte, trie et valoriser les déchets PMCB produits par les particuliers lors de travaux de rénovation ou de construction.
- Valdelia : agréé pour la gestion des déchets de matériaux de construction de l’habitat collectif, dont il représente 30 % des producteurs de matériaux de construction. Valdelia a pour mission de collecter, de trier et de valoriser les déchets PMCB produits par les professionnels lors de travaux de rénovation ou de construction.
- Valobat : agréé pour la gestion des déchets de matériaux de construction ou de rénovation des bâtiments professionnels. Il représente environ 50 % des producteurs de matériaux de construction pour les bâtiments professionnels.
- Ecominero : agréé pour la gestion des déchets de matériaux de construction à base de minéraux. Il représente environ 20 % des producteurs de matériaux de construction à base de minéraux. Ecominero a pour mission de collecter, de trier et de valoriser les déchets PMCB produits par les professionnels lors de travaux de démolition ou de réhabilitation.
Ces 4 éco-organismes jouent maintenant un rôle central dans la collecte, le tri et la valorisation des déchets PMCB, mais aussi un rôle de sensibilisation auprès des acteurs de la filière comme des particuliers. Ils sont essentiels dans l’application de la mesure phare du texte de loi qui prévoit, en contrepartie de l’éco-participation de l’ensemble des acteurs de la filière Bâtiment, la reprise sans frais des déchets de chantier (sous réserve du respect de certaines conditions comme la qualité de gisement). Comme pour toutes les précédentes filières REP, les premières phases d’exécution opérationnelle ne se font pas sans douleurs, et de nombreux acteurs décrient un véritable décalage entre application de loi et réalité terrain.
La Loi AGEC et le marché du recyclage en France : données clés pour la filière professionnelle
La loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (AGEC) a profondément modifié les dynamiques du marché du recyclage en France. Découvrons ensemble les chiffres clés et l’impact de cette législation sur la filière professionnelle.
Pour rappel, adoptée le 30 janvier 2020, la Loi AGEC a pour objectif de renforcer la responsabilité des producteurs et des acteurs du marché en matière de réduction et de recyclage des déchets. Elle ambitionne une France zéro déchet non recyclable d’ici 2030.
Les objectifs et limites de la filière REP Bâtiment
La loi REP Bâtiment fixe des objectifs ambitieux en matière de recyclage et de valorisation des déchets, soit:
- pour les déchets inertes (béton, briques, tuiles, etc.): un taux de collecte devant passer à 82 % en 2024 puis 93 % en 2027
- pour les déchets non inertes (métaux, plastiques, bois, etc.): un taux de collecte devant passer à 53 % en 2024 puis 62 % en 2027
- les déchets dangereux (amiante, plomb, etc.) sont quant à eux traités, stockés ou enfouis.
Associé à ces objectifs sont prévus ou doivent se développer les moyens adéquats d’optimisation du tri à la source de matériaux spécifiques (voir règle du Tri 7 flux), de traçabilité du déchet, mais aussi de collecte organisée autour d’un dense maillage territorial de points de collecte dédiés. C’est ce point qui aujourd’hui attire l’attention des entreprises du bâtiment qui pour certaines décrient le nombre insuffisant de points de collecte de proximité (1746 au 1er septembre 2023 selon la FFB), alors que la loi prévoit une distance maximale de 10km avec le lieu de production de déchets (20km en zone rurale). Au delà du nombre insuffisant (on estime qu’il faudrait entre 5000 et 9000 points de collecte sur l’ensemble du territoire), c’est la disparité entre zones urbaines/périurbaines et zones rurales qui inquiète. A terme, la capacité à construire ce maillage de proximité semble être le principal facteur de succès de la loi REP Bâtiment.
Les risques associés aux nouvelles obligations de recyclage PMCB
La nouvelle loi vient également constituer un risque, notamment pour les entreprises artisanales du bâtiment. Parmi les principaux risques, on peut citer :
- La complexité des obligations : complexes aussi bien à comprendre qu’à mettre en œuvre, certaines mesures pèsent plus lourd pour les acteurs du bâtiment de petite et moyenne taille, entraînant des coûts supplémentaires et une perte de compétitivité.
- Le manque de moyens réels : la reprise des déchets sans frais est conditionnée par le respect des nouvelles consignes de tri, et notamment au niveau de tolérance d’intrus (c’est à dire de matières ne devant pas être présents dans une benne mono-déchets). Ce critère semble défavoriser les entreprises ne bénéficiant pas des moyens de contrôle du tri, ou les chantiers (principalement de rénovation) trop petits pour accueillir une opération de tri à la source.
- L’émergence de déchetteries sauvages : les acteurs dans l’incapacité de respecter leurs nouvelles obligations de recyclage peuvent pour certains être tentés de se débarrasser des déchets PMCB de manière illégale, avec les problèmes environnementaux et sanitaires associés.
Les apports des nouvelles technologies
Les nouvelles technologies peuvent apporter un soutien important aux producteurs de déchets du Bâtiment et doivent prendre leur place comme nouvelles pratiques d’optimisation. Bien intégrées, elles permettent aux professionnels du secteur Bâtiment de se concentrer sur leur métier, en plein conformité avec les nouvelles exigence de tri. Nous pouvons citer, entre autres:
- La traçabilité numérique, qui permet de suivre les déchets PMCB tout au long de leur cycle de vie, depuis leur production jusqu’à leur valorisation. Cela permet de mieux comprendre les flux de déchets et d’optimiser l’ensemble des procédés de collecte et de recyclage.
- L’intelligence artificielle : utilisée en combinaison avec des capteurs optiques, directement sur chantier et en temps réel, l’IA sait faire remonter les erreurs de tri, qualifier et quantifier l’ensemble des flux pour améliorer le tri des déchets PMCB ou encore gérer le compte prorata.
- La robotique : utilisée pour automatiser les actions de tri des déchets PMCB, la robotique en centre de tri permet de réduire les coûts et d’améliorer la sécurité des travailleurs.
Pour conclure, la filière REP PMCB, avec son impact écologique important, est centrale dans la réussite de transition écologique française. Elle doit contribuer à réduire la production de déchets du bâtiment, préserver l’environnement et favoriser le réemploi ou le recyclage de matériaux en forte demande. La filière REP n’a pas encore soufflé sa première bougie, mais elle a déjà permis de réaliser des progrès importants en matière de recyclage des déchets du bâtiment. En 2023, le taux de recyclage des déchets PMCB a atteint 38 %, soit une augmentation de 10 % par rapport à 2022. Avec toutes ses contraintes initiales pour le secteur, elle constitue le maillon essentiel pour rassembler les acteurs du Bâtiment autour de véritables pratiques circulaires.
Pour aller plus loin
- Loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (AGEC), 2020 : Les lois « Anti-gaspillage pour une économie circulaire » (AGEC) et « Climat et Résilience », respectivement promulguées les 10 février 2020 et 22 août 2021, visent à transformer nos modes de vie afin de tendre vers un modèle de société plus durable.
- Rapport de l’ADEME sur la filière REP PMCB, 2023 : Le dispositif de la Responsabilité Élargie du Producteur (REP) a pour objectif d’agir sur l’ensemble du cycle de vie des produits, pour construire une économie plus durable. Il intervient notamment sur l’écoconception des produits, la prévention des déchets, l’allongement de la durée d’usage (en agissant sur le réemploi, la réutilisation, la réparation), et la gestion de fin de vie des produits. Il implique que chaque acteur économique est responsable de l’ensemble du cycle du vie des produits qu’il met sur le marché, selon le principe pollueur-payeur.
- Arrêté du 10 juin 2022 portant cahier des charges des éco-organismes